Témoignage d’Albert NTAGARA – La guerre du FPR, au Rwanda

La guerre du FPR au Rwanda…

Par Ntagara Nsengiyumva Albert, membre du Groupe Facebook “Et Si Nous Parlions d’Histoire?”. Albert a combattu au sein de l’armée du Front Patriotique Rwandais (FPR) depuis la première attaque historique du 1er octobre 1990 jusqu’à la prise de Kigali le 4 juillet 1994.

 

(Sur la photo d’illustration, de gauche à droite : Didier Kamali (recruté à Bukavu), Albert (recruté à Goma), Kabengele (recruté à Kinshasa), Mwenemudage (recruté au Burundi), Madjoka (recruté au Burundi), Papy Kalinda (mort à Jali). Assis en débardeur jaune, Isaac (recruté à Goma).

LES DIFFÉRENTS RECRUTEMENTS DU RANU/FPR

L’idée de s’organiser pour rentrer au pays commence à germer vers les années 1981, surtout au sein des rwandais exilés en Ouganda. Plusieurs jeunes rwandais avaient été recrutés par la rébellion de Museveni, dont Fred Rwigema, Paul Kagame, etc.

 

C’est là que se dégage la nécessité d’avoir des combattants. Il est vrai des jeunes rwandais constituaient la grande partie de l’armée ougandaise, mais cela ne suffisait pas pour tenir dans une longue guerre qui se préparait contre le régime du Président Juvénal Habyarimana qui comptait plus de 20.000 hommes dans son armée. En plus, son armée était bien équipée, et avec une ferme assurance de l’aide de la France, la Belgique, le Zaïre. Je me souviens d’ailleurs du briefing qui nous avait été fait par Fred Rwigema avant l’attaque du 1er octobre 1990. Il nous avait dit ceci en swahili “Tunakwenda kupambana na majeshi mengi. Kwa hiyo, mujitayarishe ku pigana na waFaransa, waZaïre, na wengine”. C’était donc un impératif pour le FPR de recruter dans tous les coins du monde ou se trouvaient des Rwandais.

Les premiers recrutements ont été faits par des regroupements de tous les militaires Tutsis [Rwandais] qui se trouvaient au sein de l’armée ougandaise. C’est pourquoi d’ailleurs lors de l’attaque du 1er octobre 1990, ce sont 500 militaires qui déclenchent la guerre, en attendant que les autres viennent rejoindre le groupe. Ces recrutements et sensibilisations ont commencé depuis 1986. Ils étaient constitués de (à) jeunes rwandais vivant en Ouganda, civils ou militaires (b) jeunes rwandais vivant au Burundi et (c) jeunes rwandais vivant au Zaire, notamment à Goma et à Rutshuru et (d) des jeunes rwandais vivant en Tanzanie. Les recrutements de 1986-1989 restent toutefois timides. Les recrutements massifs commencent vers 1990. Moi-même je me suis retrouvé enrôlé au cours de cette année-là, deux mois seulement avant que nous ne déclenchions l’attaque du 1er octobre 1990.

Les deuxièmes recrutements en masse commencent avec le début de la guerre en 1990. Bujumbura, Mushiha, Goma, Bukavu, Rutshuru, Tanzanie, Ouganda, Kenya (il y’en a même qui venaient de l’Europe)… toutes les familles Tutsis envoient au moins un fils. Comme il n’y avait pas de centre d’entraînement, le FPR créa un terrain d’entraînement dans la forêt de l’Akagera. La vie difficile commença ainsi pour moi, d’une part à cause de la défaite infligée après la mort de presque tous les membres du High command (Haut commandement militaire), d’autre part le manque de nourriture, de munitions, etc. C’est d’ailleurs ce qui poussa à cet élan de solidarité entre tous les Tutsis. A partir de 1990, partout au monde où se trouvaient les Tutsis, ces derniers commencèrent à s’organiser dans des groupes bien structurés appelés “Umuryango” (qui veut dire la famille).
 

Des collectes de fonds vont commencer pour le cas du Zaïre au Kivu d’abord, puis les autres parties de la République jusque vers 1991-1992-1993. “Umuryango” servait non seulement à collecter les cotisations, mais aussi au recrutement des jeunes pour aller au front. Le même “Umuryango” les prenait en charge jusqu’au centre d’entraînement. Ainsi, ceux qui étaient à Goma, Bukavu vers les années 1990-1993 pouvaient voir de temps en temps leurs amis Tutsis s’éclipser, et à un moment donné ils disparaissaient carrément, sauf ceux qui avaient d’autres responsabilités dans l’“Umuryango”. Dans le cas où un jeune garçon refusait de rejoindre les autres, il faisait automatiquement la honte de sa famille. Et c’est pour éviter cette honte que chaque famille avait l’obligation d’envoyer au moins un enfant dans l’armée du Front Patriotique Rwandais (FPR).

 

Ces activités de recrutement vont “chauffer” à Kinshasa et ailleurs en 1992-1993, et c’est à ce moment où le mouvement des “Tutsis-Kinois” va se faire remarquer au front (beaucoup d’entre eux parlaient Lingala). Ceci est l’image de ce qui se passait au Zaïre, mais ailleurs c’était la même chose, sauf pour ceux qui venaient du Rwanda. Eux devaient passer soit par le Burundi, soit par le Zaïre (par Goma et Nyamirima).

LES TROIS FRONT HISTORIQUES… JUSQU’A LA CHUTE DE KIGALI

L’on ne saurait parler de la chute de Kigali sans évoquer les batailles historiques engrangées par le FPR depuis 1990. Cette guerre a connu 3 fronts historiques suivants :
1. La guerre de l’Akagera, au début des hostilités. Cette guerre a vu les deux parties s’affronter vers la fin 1990 jusqu’au début de 1991. Les difficultés qu’a connues le FPR était non seulement la perte subite de ses dirigeants (le général Fred Rwigema, le major Dr Bayingana, le major Bunyenyezi, le colonel Adam Waswa), mais aussi la dispersion des militaires, sans communication, sans munitions, sans armes adéquates. La solution était de replier pour se réorganiser.

2. La deuxième est celle dénommée, appelée “Rukokoma” / “aga cm” où le FPR voulait occuper à tout prix un grand espace sur le territoire rwandais comme preuve irréfutable de son existence. Des combats intenses vont commencer au troisième trimestre de 1991 jusqu’aux deux premiers trimestres 1992, puis les pourparlers entre le FPR et le Gouvernement rwandais vont commencer en juillet 1992.
3. La troisième guerre, sur laquelle nous allons nous appesantir, est celle de la prise Kigali, la capitale.
Lorsqu’on nous annonce la mort du Président Juvénal Habyarimana le 6 avril 1994, nous sommes tous alertés au sein du FPR. Plusieurs jeunes militaires étaient regroupés dans des clubs de football, basket, volleyball, selon leurs bataillons respectifs. On appelait cela “être en local”. Tous seront directement ramenés dans leurs compagnies respectives.
A cette époque, l’armée du FPR était formé de 8 mobile forces (équivalent de 2 à 3 bataillons, mais souvent 1.400 à 1.600 hommes). Les bataillons qui étaient mieux placés, au raccourci de Kigali étaient Bavo mobile force “B” (commandé par le colonel DODO), auquel s’étaient joints le Bataillon Alpha “À” (commandé par le colonel KAKA) et le 59ème Bataillons du colonel NGOGA. Ce sont ces trois bataillons qui vont attaquer Kigali, plus le bataillon nommé “SRD bataillon” ou 3ème bataillon (dirigé par le lieutenant-colonel KAYONGA, qui était déjà à Kigali depuis des mois). Vous allez noter que les trois bataillons ne viendront pas avec tout leur effectif parce qu’il fallait renforcer les 5 bataillons qui restaient derrière et qui avaient pour mission de balayer la partie de derrière.

Le Bataillon Bravo auquel je faisais partie campait à Miyove et c’est de là où nous avons reçu un très court briefing du Général KAGAME (juste 2 minutes, si j’ai bonne mémoire), nous disant en Swahili “Mumesikiya kwamba Habyarimana amefariki ? Iyo ni kweli na wameanza kuuwa wa Tutsi. Sasa ninyi mwende mukaondowe hiyo government. Mengine viongozi wenu watawaeleza”. C’était tout. Chaque OC (commandant de compagnie) commença à briefer encore ses sujets. Je me rappelle que le nôtre nous avait dit : “Tunakwenda kupiga Kigali”.
 

Toute la journée du 7 avril au lendemain de l’attentat, nous sommes restés à attendre le mot d’ordre. Il y avait, depuis le matin, une réunion préparant notre première offensive à Miyove entre le Commandant Paul Kagame et les hauts gradés, avant notre départ. Nous nous sommes mis sur la route vers Kigali autour de 18h30, d’abord le bataillon Bravo, suivi du Bataillon Alpha et, enfin, le 59ème Bataillon.

Le bataillon Bravo est resté à Jali et à Gisozi, avant d’aller occuper, plus tard, Kacyiruet Kiyovu, et une partie de Muhima à la fin. Le bataillon Alphava progresser de Gisozi, Kagugu, jusqu’au CND, au Parlement, puis à Remera. Une autre partie de Alpha va aller à Mburabuturo. Quant au 59ème Bataillon, ses éléments vont dépasser le Parlement pour prêter main forte à une compagnie du 3eme bataillon nommée souvent ‘’600’’ (la compagnie qui avait récupéré Rebero le 7 avril et qui était dirigée par le Major Jacob, un véritable Commando).

 

Mais à Jali les choses vont tourner mal pour nous. L’on décida d’y envoyer en renfort 5 autres bataillons, y compris celui dont je faisais partie. Des combats intenses vont se dérouler à Jali pendant plusieurs jours, jusqu’à sa prise totale le 20 juin 1994. Plusieurs se posent toujours la question de savoir pourquoi la guerre de Kigali nous a pris 3 mois avant de nous défaire totalement des Forces Armées rwandaises (FAR)? La réponse est que cette guerre de Kigali se jouait sur le contrôle des endroits stratégiques situés sur les hauteurs de la ville (comme Jali ou Rebero, ou encore le Mont Kigali). Les Forces armées rwandaises (FAR) le savaient et avaient mis une forte concentration de leurs hommes et leurs équipements pour nous contrer valablement. Comme on se battait à 3 ou 4 round par jour, eux avaient une abondante armée capable pour procéder à des relèves d’hommes (les soldats) entre eux, en plus des miliciens ‘’Interahamwe’’ qui avaient pour mission de piétiner toutes les mines antipersonnel que nous avions placées comme pièges entre eux et nous. Ils nous pilonnaient jour et nuit sans que nous répliquions parce qu’à ce moment-là, nous ne disposions que d’un seul “katihoucha” que nous utilisions en mobile. A Rebero, les Forces armées rwandaises bombardaient jour et nuit, mais cela n’a pas empêché à nos autres forces de nous rejoindre petit à petit.

 

C’est vers la fin avril que le 21è Bataillon qui était déjà à Kigali, accompagné par les forces du Colonel Ndugute (en charge de toutes les opérations de l’armée du FPR et qui était alors le numéro 2 de notre armée, un guerrier hors norme) progressera jusqu’à la prise du Camp Kami, jusqu’à la prise du Camp de Kanombe et de l’aéroport. Ils étaient appuyés par le Bataillon Alpha et quelques compagnies de “7th” du Colonel Bavure (“Tiger”) qui provenaient de Mutara, Rwamagana, Kabuga. Entre temps, une partie de Bravo va attaquer le Camps Kacyiru au milieu du mois de mai, tandis qu’une compagnie (le “E coy” de Bravo) sous la direction de Zubaire va couper toutes les routes d’approvisionnement de Jali (et c’était la fin de Jali le 20 juin), pendant que le “E coy” de Ahmed Shamvu attaquait le camps Kacyiru vers Kinamba, et le capitaine Rwapapa attaquait dans toute la zone des ministères (du côté de l’Ambassade des Etats Unis), coupant la route reliant Kacyirudu Camp GP, du côté de l’actuel Convention Center.

 

Après la prise de Jali, toutes nos armes lourdes seront fixées à cet endroit pour pilonner la ville (122 gun, 122 houser 120, 37mm, orgue de Staline). A Gisozi, on y plaça d’autres armes lourdes, tout comme à Rebero. La stratégie d’évacuation de l’ennemi restait le mont Kigali. Ainsi le camps Kacyiru fut occupé le 3 juillet, le camps GP et le reste de la ville le 4 juillet, marquant ainsi la prise totale de la ville de Kigali. Ce que l’on peut retenir est que les Forces armées rwandaises (FAR) avaient commis l’erreur de ne pas s’occuper vite du bataillon ‘’600’’ qui était positionné au Parlement et qui a joué un grand rôle dans cette guerre.

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